Psychologie : Les stéréotypes dans la peau

Aïna Chalabaev

Université Grenoble Alpes, Laboratoire SENS

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« Les capacités physiques diminuent avec l’avancée en âge », « les femmes courent moins vite que les hommes », sont des croyances largement ancrées dans nos esprits, autrement dit : des stéréotypes. Mais ces poncifs sont aussi des faits scientifiques avérés. Peut-on alors parler de stéréotypes ?

S’il peut parfois arriver que les stéréotypes reflètent une certaine réalité, il s’agit d’une réalité à l’échelle du groupe. Par exemple, la croyance que les personnes âgées ont en moyenne des capacités physiques plus faibles que les jeunes adultes correspond à une certaine réalité. Mais il existe souvent une variabilité importante autour de la moyenne. Ainsi, comme le soulignent Romuald Lepers et Thomas Cattagni dans leur billet « L’athlète vétéran ou master : un modèle d’étude du bien-vieillir », certains sportifs de plus de 70 ans ont des capacités physiques comparables voire supérieures à la population générale d’adultes jeunes.

Le problème des stéréotypes est qu’ils nous conduisent à appliquer nos croyances à propos d’un groupe de la même manière à chacun de ses membres, et donc à minimiser la variabilité au sein du groupe. Pour la petite histoire, le terme de stéréotype désigne à l’origine une plaque d’imprimerie coulée dans un moule : à chaque fois qu’elle imprime, elle produit la même image. C’est pour cette raison que même lorsque des stéréotypes semblent « vrais » au niveau du groupe, ils peuvent entraîner une perception fausse lorsqu’on les applique au niveau de l’individu. Par exemple, si l’on prend une personne âgée et un adulte jeune au hasard dans la population, il est tout à fait possible que ce soit la plus âgée qui soit la plus performante (même si c’est moins probable). Les conséquences de ce biais ne sont pas anodines puisque les stéréotypes peuvent influencer le comportement de l’individu et mener à leur propre réalisation. Les psychologues sociaux parlent de confirmation comportementale des stéréotypes.

Dans l’article « Les stéréotypes dans la peau : Une approche biopsychosociale des effets situationnels des stéréotypes sur la performance motrice » publié en libre accès dans la revue Movement & Sport Sciences – Science & Motricité, nous présentons un phénomène particulier de confirmation comportementale des stéréotypes : la menace du stéréotype. Ce phénomène illustre le « boulet » que peuvent représenter les stéréotypes lorsque l’individu vise une performance optimale. Dans ce type de situation – lors d’une compétition sportive ou d’un test d’évaluation des capacités physiques – l’individu peut craindre de confirmer des stéréotypes négatifs à l’égard de son groupe, même s’il se sent lui-même compétent. Cette crainte peut perturber en retour l’exécution de la tâche, empêchant l’individu d’atteindre un niveau optimal de performance.

 

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La menace du stéréotype a connu un énorme engouement en psychologie sociale expérimentale, suite à sa mise en évidence dans le cadre du paradigme expérimental mis au point par deux chercheurs américains, Claude Steele et Joshua Aronson, en 1995. Si plus d’un millier d’études ont depuis exploré cet effet dans le domaine académique, les psychologues du sport ne se sont que très récemment intéressés à ce phénomène. On compte ainsi une quinzaine de travaux dans le domaine moteur, travaux qui ont quasi exclusivement porté sur les stéréotypes liés au sexe. Ce phénomène a pourtant des implications non négligeables. Une étude a par exemple montré que l’activation de stéréotypes liés au vieillissement lors d’un test de force de préhension pouvait diminuer de 50% la performance de personnes âgées. La force de préhension étant un élément de dépistage de la sarcopénie, ces résultats suggèrent que les stéréotypes pourraient biaiser son évaluation clinique s’ils ne sont pas contrôlés. Un autre exemple est qu’à force d’être confrontés à des stéréotypes négatifs les concernant, les individus peuvent petit-à-petit se désinvestir du domaine en question. Dans le contexte de l’activité physique, les stéréotypes pourraient ainsi être un facteur de sédentarité. Etant donné ces implications, davantage de travaux sont nécessaires pour mieux comprendre les effets des stéréotypes dans le domaine moteur et les moyens de les enrayer.

 

Mots-clés

Psychologie, stéréotypes, menace du stéréotype, performance motrice

 

Les auteurs du billet

Aïna Chalabaev est MCU-HDR en STAPS (psychologie) et directrice du laboratoire SENS. Elle étudie les déterminants motivationnels de l’activité physique chez des populations stigmatisées dans ce domaine (seniors, femmes, personnes en surpoids, personnes atteintes de maladies chroniques).