Sociologie : Les sports alternatifs : création et contestation

Audrey Tuaillon Demésy

Université de Franche-Comté, UPFR des Sports, laboratoire C3S (EA 4660)

audrey.tuaillon-demesy@univ-fcomte.fr

Affiche des XIIe Rencontres internationales d’Arts martiaux historiques européens, organisées par l’association De Taille et d’Estoc sur le campus de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté.

 

À l’approche des Jeux olympiques de Paris en 2024, il est aisé de noter que le sport dit « traditionnel » occupe une place de choix dans les discours médiatiques. Pour autant, il semble que les « sports modernes » ne parviennent pas toujours à combler les attentes des consommateurs. En effet, la part de « jeu » et de « nouveauté » est aujourd’hui largement plébiscitée au sein de la dimension sportive. Délaissant la compétition au profit d’une logique fun ou hédoniste, les pratiquants se tournent aussi vers des activités physiques innovantes, émergentes ou renouvelées. En témoigne l’apparition depuis une quinzaine d’années de nombreux sports, tels le parkour, les Arts martiaux historiques européens (AMHE), le quidditch, le roller derby, etc. portés par des communautés de pratiquants, qui mettent l’accent sur l’indépendance dans la création et dans l’expression même de leur activité. Afin de saisir ces mutations, un projet de recherche financé par l’ANR (Aiôn – Socio-anthropologie de l’imaginaire du temps. Le cas des loisirs alternatifs) s’intéresse à mieux comprendre comment se structurent ces loisirs et quel rôle l’imaginaire occupe dans leur mise en place.

En se détachant des valeurs traditionnellement associées au mouvement sportif, ces activités « alternatives » proposent de nouvelles règles, formes et valeurs. Elles se développent et se structurent en parallèle – voire en opposition – à l’offre existante. Cette catégorie de sports non « mainstream » demeure encore mal définie dans la littérature scientifique et fait davantage l’objet d’un intérêt outre-Atlantique. Les différentes études menées montrent que ces sports alternatifs véhiculent des positions idéologiques qui viennent en opposition à la culture sportive mainstream (Cohen et Peachey, 2015). Plus encore, ils ont pour particularité non seulement de se construire en réponse aux logiques hégémoniques mais aussi d’être caractérisés par une dimension contestataire. Une forme de résistance est mise en avant par les pratiquants de ces activités (Jarvie, 2006), qui revendiquent un certain nombre de valeurs propres à chacune des pratiques, qui leur fournissent une identité (mixité dans le sport, rejet de la compétition, etc.). Un style de vie (lifestyle) est associé à ces loisirs, induisant un engagement important des pratiquants (Gilchrist et Wheaton, 2016 ; Tuaillon Demésy, 2018). De fait, ces sports alternatifs mobilisent une culture de la participation et le Do it Yourself (Hein, 2012), l’émancipation et l’autonomie des acteurs.

Par ailleurs, l’imaginaire est l’une des composantes de ces sports alternatifs. En effet, en tant que système symbolique organisateur de pratiques, l’imaginaire favorise la construction de ces loisirs (notamment à travers la réappropriation de valeurs issues de mondes de fiction). Il permet également de comprendre le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques. Ainsi, jouer au quidditch, c’est reproduire la mixité de genre dans un sport collectif, telle que présentée dans les romans Harry Potter. Performatif, l’imaginaire favorise la création de ces activités : il est un moteur dans la construction des mondes sociaux que sont ces loisirs alternatifs.

Coupe du monde de quidditch 2018, organisé par la fédération internationale (International quidditch Association) à Florence.
Sources : IQA (logo) et photographie personnelle de terrain.

 

 

 

Mots clés

Imaginaire, sociologie, quidditch, DIY, sous-culture, lifestyle.

Références

Projet AIÔN : http://aion-project.org

Projet PIND – Punk is not dead : http://pind.univ-tours.fr

Cohen A. et Peachey J. W., « Quidditch: Impacting and Benefiting Participants in a Non-Fictionnal Manner », Journal of Sport and Social Issues, vol. 39, n° 6, 2015, pp. 521-544.

Gilchrist P. et Wheaton B., « Lifestyle and Adventure Sports among Youth », in Green K. et Smith A. (dir.), Routledge Handbook of Youth Sport, 2016, Londres, Routledge, pp. 186-202.

Hein F., Do it yourself ! Autodétermination et culture punk, 2012, Congé-sur-Orne, Le Passager clandestin.

Jarvie G., Sport, Culture and Society: an Introduction, 2006, Londres, Routledge.

Tuaillon Demésy A., « Être « quiddkid » : l’engagement des joueurs dans une pratique alternative », Sciences du jeu, n° 10, 2018, en ligne : https://journals.openedition.org/sdj/1291.

Tuaillon Demésy A. et Haissat S. (dir.), Dossier thématique « Loisirs et imaginaires », Carnet Hypothèses Mundus Fabula, mars 2019, en ligne : https://mf.hypotheses.org/948.

Biographie de l’auteur du billet

Audrey Tuaillon Demésy est docteure en sociologie, Maître de conférences en STAPS à l’Université de Franche-Comté (laboratoire C3S, EA 4660). Ses recherches portent sur les activités de loisirs dites « alternatives » et sur les pratiques corporelles situées entre imaginaire, subculture et monde social (reconstitution historique, quidditch, etc.). Elle est responsable du programme ANR Aiôn (Socio-anthropologie de l’imaginaire du temps. Le cas des loisirs alternatifs) depuis 2019.