Santé respiratoire du sportif et COVID-19

Valérie Bougault, PhD

Université Côte d’Azur, Laboratoire Motricité Humaine Expertise, Sport Santé
Nice, France

Valerie.bougault@univ-cotedazur.fr

Photo : Le 11 mai, faudra-t-il porter un masque pendant sa pratique sportive ? (Crédits : P.Lebreton)

 

Ce billet est largement inspiré de l’article de Hull et al. (2020), auquel j’ai parfois ajouté mon point de vue en tant que chercheuse dans le domaine de la santé respiratoire du sportif, et membre de groupes d’experts, notamment celui sur la santé respiratoire de l’athlète mandaté par le CIO pour 2020.

Dans le contexte d’urgence de pandémie du COVID-19 dont les formes les plus graves touchent principalement les personnes de plus de 60 ans et celles atteintes de pathologies chroniques (obésité, diabète…), la question de la santé respiratoire des plus sportifs (population considérée comme généralement jeune et en bonne forme physique) peut sembler secondaire ou sans importance. C’est un point de vue malheureusement récurrent, qui n’a pas attendu la crise actuelle et auquel on fait face en permanence lorsqu’on cherche à effectuer des recherches portant sur la santé respiratoire du sportif. Le sujet n’apparaît suffisamment important ni pour les instances de santé, ni pour celles du sport. L’actualité nous montre au contraire que ces questions se posent de manière aigüe, à moins d’oublier définitivement toute idée d’activité physique pour les populations. Si nous disposons de certaines données, de nombreuses questions essentielles restent en suspens depuis les années 80. La santé respiratoire du sportif (que dire de la santé de la sportive !!) est un paramètre oublié dans la structuration, de la performance, malgré les preuves scientifiques démontrant son importance. On ne s’en occupe qu’à partir du moment où se développe une symptomatologie chronique que l’athlète a lui-même/elle-même identifié comme gênante, plutôt que d’agir en amont et en prévention. Mais ne généralisons pas au monde entier, car certaines équipes nationales étrangères ont bien compris l’intérêt de cette prise en compte…

Les questions liées à la maladie chez le sportif s’orientent principalement autour des décisions de poursuivre l’entraînement ou pas (et sous quelle forme) ; des problématiques de contagion au sein des équipes ; de la potentielle influence de l’exercice physique sur la sensibilité aux infections, et de l’établissement de lignes directrices structurant le retour de l’athlète guéri à la compétition. Elles sont mises sur le devant de la scène avec l’actualité du COVID-19 et la planification du déconfinement. Elles ne se sont pas nouvelles, et des recommandations existent déjà pour éviter le risque de maladies respiratoires, qui perturbent fréquemment les performances des sportifs lors de leurs compétitions principales. Cependant, le contexte actuel est inédit, et la réduction massive de toute activité pour les athlètes professionnels a elle aussi des implications considérables pour leur santé.  La quasi-totalité des grands événements sportifs internationaux, y compris les Jeux olympiques, a été aux mieux reportée sinon annulée et les sportifs français sont confinés à leur domicile.

 

  

Photos : Annie Last (à gauche), et Thomas Litscher (à droite) pilotes VTT professionnels pendant le confinement. Toutes les compétitions de cyclisme dans le monde sont annulées jusqu’au 1er juillet au moins. Les coureurs ne savent pas encore s’ils vont reprendre la compétition en 2020. (Crédits : Team KMC Orbea)

 

Sport et système immunitaire

Il est communément admis que s’entraîner régulièrement à un volume et une intensité modérés est associé à une diminution générale du risque d’infection des voies respiratoires (cf. recommandations de l’organisation mondiale de la santé), tandis que des niveaux d’activité physique insuffisants semblent être associés à un risque accru de contracter ces infections (association en forme de U inversé).  Pour les athlètes de compétition, il est nécessaire et habituel d’effectuer des séances à haute intensité pour optimiser les gains d’entraînement.  Or, les charges d’entraînement de très haute intensité, avec ou sans augmentation soudaine de la charge d’entraînement, peuvent être associées à des perturbations immunitaires transitoires, avec inflammation et stress oxydant. Le risque accru d’infection (et de contamination virale, dont le COVID fait partie) lié aux périodes d’entraînement à haute intensité peut donc apparaître préoccupant en contexte pandémique, mais cette préoccupation devrait surtout être circonscrite au cas des athlètes récréatifs non compétitifs.  La littérature scientifique suggère en effet que les athlètes de haut-niveau accoutumés aux hautes intensités peuvent continuer à s’y entraîner sans risque accru de maladie, à condition qu’il n’y ait pas d’augmentation soudaine de leur charge d’entraînement (volume et intensité), ou d’état de fatigue à long terme déjà installé.

Le déconfinement et le sport :

Attention donc à une reprise trop intense de l’entraînement, et au décalage de charge qui pourrait apparaître entre l’entraînement réalisé à la maison pendant la quarantaine et celui qui se fera en extérieur lors du déconfinement. Les compétitions qui pourraient avoir lieu avant la fin de l’année 2020 revêtiraient alors des enjeux encore plus importants que d’habitude pour beaucoup de sportifs. Sur une période plus courte, il s’agira par exemple de réaliser la performance nécessaire à une qualification aux JO de Tokyo, ou encore de se montrer à la hauteur d’un contrat professionnel pour 2021. Dans ce contexte, la tentation de reprendre l’entraînement au maximum sera très forte pour certains, les rendant alors davantage susceptibles aux infections (et aux contre-performances, ainsi qu’aux blessures…).

En sus de la problématique de la charge d’entrainement, les critères environnementaux seront à prendre en compte lors de la reprise. On ne peut présager de l’évolution de la qualité de l’air mais si elle se dégrade de manière abrupte avec le déconfinement, cela pourra ajouter un fort stress oxydant sur le système respiratoire des sportifs, qui pourrait s’ajouter à celui de l’entraînement des premiers jours et des premières semaines. Or il est fort possible que ce stress augmente la susceptibilité aux infections. Il en va de même pour les nageurs qui seront à nouveau exposés très régulièrement au chlore.

Le risque de transmission de COVID-19 pendant l’entraînement est par ailleurs accru dans certains milieux sportifs où les athlètes s’entraînent en groupe, pratiquent des sports de contact, n’adhèrent pas aux directives universelles pour la distanciation sociale, utilisent des équipements partagés, ne pratiquent pas les directives universelles pour maintenir une hygiène personnelle, et utilisent des installations communes telles que les vestiaires. Dans certains sports, notamment ceux pratiqués individuellement en pleine nature, le risque de contracter le COVID-19 est faible, et c’est une fois de retour à la maison qu’il faudra être vigilant aux règles d’hygiène.

Photo : Victor Koretzky, pilote VTT à l’entraînement, seul dans la nature. Sportif sélectionnable pour les JO de Tokyo, repoussés en 2021. (crédits : P.Lebreton)

COVID-19 du sportif

Il n’existe pas de données spécifiques sur la prévalence, la nature et le comportement des maladies liées à ce virus chez les sportifs.

L’une des principales préoccupations des auteurs (Hull et al. 2020) est l’identification du moment du retour à la capacité de reprendre un effort physique complet après une infection. Chez les athlètes, les décisions de retour à la compétition, dans le contexte d’une maladie respiratoire, sont généralement prises au cas par cas. En général, ils continuent à faire de l’exercice (parfois en diminuant l’intensité selon la sévérité des symptômes) si leurs symptômes et leurs signes cliniques se limitent aux voies aériennes supérieures. La base scientifique de cette recommandation est faible, et le risque potentiel de développer à moyen ou long terme d’autres complications avec un retour précoce à l’entraînement intense n’est pas nul.  Parmi ces risques, le plus important est le risque de myocardite ou de lésion myocardique, qui pourrait être un risque dans l’épidémie actuelle ; les données publiées des cohortes d’infection COVID-19 semblent indiquer une prévalence certaine de lésions myocardiques (avec élévation de la troponine), et un nombre croissant de cas de myocardite.

Sur cette base, et compte tenu des preuves d’un risque de détérioration tardive, Hull et al. (2020) recommandent de recourir à une période de repos suffisante et à une stratégie de retour en compétition prudente (par exemple, ≥10 jours à partir de l’apparition des symptômes plus 7 jours à partir de la résolution des symptômes).  Cette stratégie ne sera pas immédiatement pertinente pour les athlètes qui sont isolés ou qui n’ont pas d’objectifs de compétition prévus ; néanmoins, à mesure que la pandémie évolue, il y aura probablement des athlètes qui contracteront le COVID-19 et seront amenés à se poser ces questions.

La santé, ce n’est pas seulement ne pas attraper un virus !

La poursuite de l’entraînement est un élément important pour protéger la santé mentale des athlètes, en particulier pour réduire le risque d’anxiété et de dépression. Les sportifs de haut-niveau sont engagés dans de longues périodes de préparation minutieuse pour les compétitions internationales, pour lesquelles ils mettent en jeu la grande majorité de leurs ressources mentales (a fortiori à l’approche des Jeux Olympiques). L’arrêt brutal de leur activité et la disparation des objectifs qui structurent leur vie de manière importante ne sont pas sans effets.

 Pour certains sportifs professionnels, les conséquences économiques des annulations et reports de compétition impliquent un risque important de perte de leur statut, par perte de leurs contrats, faillite de leur équipe… C’est ici la possibilité de participer à des compétitions du plus haut niveau qui pourrait disparaître pour eux, et ne plus jamais se présenter. Ainsi, l’annulation ou le report des compétitions, nécessaire du point de vue de la santé internationale, pourrait avoir par ramification des conséquences immédiates et à moyen terme importantes pour la santé mentale de certains athlètes.

En outre, les structures d’accueil des athlètes de haut niveau sont pour la plupart fermées actuellement, les confrontant à une période d’isolement considérable, potentiellement loin de leur domicile, ainsi qu’à un temps inoccupé excessif et à l’absence d’entraînement ou d’objectif de travail clair.

Photo : Malene Degn, pilote professionnelle VTT. Crédits : F.Machabert / FM Sports

Conclusion : la santé respiratoire des sportifs, pierre angulaire de la performance

La pandémie de Covid 19 et l’étude des différents scénarios de son évolution et de déconfinement social remettent sur le devant de la scène la santé respiratoire et l’immunité du sportif. Les maladies respiratoires dans l’ensemble sont un problème majeur pour les services médicaux aux athlètes, l’infection des voies respiratoires étant la principale cause de consultation médicale non liée à une blessure, associée à une perte importante de temps d’entraînement et une contre-performance en compétition dans les cohortes d’athlètes d’élite. Il est donc encourageant que le Comité International Olympique ait déjà réuni un groupe d’experts pour traiter les questions plus larges relatives à la santé respiratoire des athlètes, qui vise à publier dans un avenir proche des conseils fondés sur des données probantes. Affaire à suivre…

 

Mots Clés :

Physiologie, Santé, Immunité, Sportif

Références :

Hull JH, Loosemore M, Schwellnus M. Respiratory health in athletes : facing the covid-19 challenge. Lancet Respir Med 2020; S2213-2600(20)30175-2.

Nieman DC, Wentz LM. The compelling link between physical activity and the body’s defense system. J Sport health Sci 2019;8(3) :201-17

Campbell JP, Turner JE. Debunking the Myth of Exercise-Induced Immune Suppression: Redefining the Impact of Exercise on Immunological Health Across the Lifespan. Front Immunol 2018; https://doi.org/10.3389/fimmu.2018.00648

Schwellnus et al. How much is too much? (Part 2) International Olympic Committee consensus statement on load in sport and risk of illness. Br J Sports Med 2016;50(17): 1043–52

 

Biographie de l’auteur

Valérie Bougault est actuellement MCF-HDR en STAPS à l’université Côte d’Azur, Nice, spécialisée en sciences de la vie (physiologie, santé). Elle est reconnue à l’international pour ses travaux sur la santé respiratoire chez le sportif en lien avec la qualité de l’air et est régulièrement invitée à participer à des congrès internationaux et groupes de recherches/publications dans ce domaine.