L’échantillonnage de l’expérience : Lumière sur une méthodologie « en immersion »

Cyril Forestier et Aïna Chalabaev

Université Grenoble Alpes, Laboratoire SENS


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Les recherches en psychologie accordent une place centrale à l’introspection, c’est-à-dire à l’observation méthodique, par la personne elle-même, de ses états de conscience. Les mesures dites auto-rapportées, généralement effectuées sous forme de questionnaires, constituent un outil roi pour capturer le contenu de la conscience. Cependant, ce type de mesure est le plus souvent réalisé après que le phénomène psychologique est survenu. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il est demandé au participant d’une expérience quelle quantité d’effort il a investi dans la tâche physique qu’il vient d’effectuer, ou à un élève quel est son degré de motivation pour l’éducation physique et sportive. Or, mesurer rétrospectivement et hors contexte le ressenti peut entraîner une perte (oubli) ou une déformation de l’information recueillie.

La méthode d’échantillonnage de l’expérience est un procédé qui permet de dépasser ces limites en capturant les pensées ou ressentis au moment même où la personne les vit. Popularisée par Csikszentmihalyi dès les années 1980, cette méthode connaît un regain d’intérêt depuis l’apparition du smartphone, qui facilite grandement sa mise en œuvre, à travers l’utilisation d’applications mobiles dédiées (e.g., DiaryTimer, Experience Sampling Program, MovisensXS, SurveySignal). Concrètement, la personne reçoit un signal sonore l’invitant à répondre (à l’aide d’une échelle quantitative) sur son smartphone à des questions courtes sur ce qu’elle est en train de vivre (par exemple : « Avez-vous ressenti une envie pour une activité sédentaire au cours de la dernière demi-heure ? Avez-vous essayé d’y résister ? Avez-vous réussi à y résister ? »). Typiquement, 5 à 7 signaux sont envoyés par le smartphone chaque jour sur une durée d’une semaine. Ces signaux peuvent être programmés pour apparaître de façon aléatoire au cours de la journée, ou pour être émis lorsque la personne se trouve dans un état particulier. Par exemple, si cela fait un certain temps que la personne est assise, il est possible de l’interroger sur les raisons de son comportement sédentaire ; si elle présente des réponses physiologiques liées au stress, il est possible de l’interroger sur les raisons pour lesquelles elle se trouve dans cet état. Il faut dans ce cas associer l’application mobile à un capteur mesurant l’actimétrie ou l’activité cardiaque.

Un autre avantage de cette méthode est de faciliter la mesure des variations intra-individuelles des phénomènes étudiés. Cette prise en compte est importante car les hypothèses des chercheurs s’effectuent souvent à ce niveau. Par exemple, l’hypothèse « la pratique d’une activité physique régulière améliore les fonctions cognitives » sous-entend généralement qu’on s’attend à ce que les fonctions cognitives d’une personne s’améliorent si elle se met à pratiquer une activité physique. Mais ce type d’hypothèse est le plus souvent testé à un niveau inter-individuel, par exemple en comparant les fonctions cognitives de personnes actives à celles de personnes inactives. Or, les résultats observés au niveau inter-individuel ne reflètent pas forcément ce qui se passe au niveau intra-individuel, et inversement.

Si la méthode d’échantillonnage de l’expérience présente de nombreux avantages, elle n’est bien sûr pas exempte de limites. Comme toute mesure auto-rapportée, elle est sujette au biais de désirabilité sociale, la personne pouvant chercher à se valoriser pour paraître sous le meilleur jour possible, ce qui limite la sincérité de ses réponses. Par ailleurs la fréquence des questions peut être perçue comme une contrainte par l’individu ou comme une intrusion dans sa vie. Il est donc important de bien considérer en amont la longueur et la quantité d’items utilisés, ainsi que le temps consacré à y répondre, pour éviter les données manquantes voire un abandon des participants. Ceci dit, les avantages de la méthode d’échantillonnage de l’expérience surpassent à notre avis ses inconvénients, en améliorant la précision des mesures phénoménologiques effectuées, et en permettant des analyses à un niveau intra-individuel. De plus, les avancées technologiques ont grandement simplifié la mise en œuvre de cette méthode, tout en améliorant le recueil « en immersion » des données obtenues.

Mots-clés
Psychologie, méthodologie, smartphone, méthode d’échantillonnage de l’expérience

Références
Csikszentmihalyi, M. (2014). Flow and the foundations of positive psychology. 1st ed. Dordrecht [etc.]: Springer.
Thomas, V. and Azmitia, M. (2016). Tapping Into the App: Updating the Experience Sampling Method for the 21st Century. Emerging Adulthood, 4(1), 60-67.

Les auteurs du billet

Cyril Forestier est doctorant en STAPS (psychologie) au laboratoire SENS de l’Université Grenoble Alpes. Il étudie les déterminants motivationnels des comportements de santé chez des patients atteints de cardiopathie.

 

Aïna Chalabaev est MCU-HDR en STAPS (psychologie) et directrice du laboratoire SENS. Elle étudie les déterminants motivationnels de l’activité physique chez des populations stigmatisées dans ce domaine (seniors, femmes, personnes en surpoids, personnes atteintes de maladies chroniques).